Il est temps de parler d’un sujet qui nous tient à cœur et qui occupe une place primordiale dans notre recherche vers une alimentation plus durable : les semences.

Pourquoi  parler des semences ?

En toute logique parce que c’est la base de toute alimentation mais surtout parce que les enjeux autour des semences n’ont jamais été aussi importants qu’aujourd’hui.

La révolution verte lancée entre les années 60 et 90 a permis l’essor de grandes multinationales, qui se partagent – entre 3 firmes – le commerce des 2/3 des semences et les ¾ des pesticides. Ces semences – souvent des hybrides F1 – non reproductibles, entraînent une dépendance des agriculteurs à ces entreprises qui leur vendent chaque année de nouvelles semences et les intrants chimiques associés (pesticides, fertilisants).

Les semences entièrement « autorisées » à la vente en France sont celles inscrites dans le catalogue officiel. Les contraintes pour inscrire une variété dans ce catalogue sont telles que les principaux acteurs qui y parviennent sont les grands groupes semenciers (tels Bayer, DuPont et Dow Chemical…).

Plusieurs associations françaises, en commercialisant des semences non inscrites au catalogue, se retrouvent dans l’illégalité et régulièrement sur le banc des accusés. Ces semences « hors catalogue » prennent les noms de semences paysannes, de pays, anciennes, traditionnelles ou créoles. Elles représentent le patrimoine génétique issu de milliers d’années de travail de nos ancêtres paysans. Elles ont été sélectionnées pour répondre à des nécessités agronomiques, alimentaires, culturelles, ou dues aux changements climatiques. Ainsi, elles contiennent 5 à 12 fois plus de nutriments que les variétés hybrides inscrites au catalogue, qui ont privilégié vitesse de croissance, résistance au transport, au stockage etc.

Avec ce cadre législatif, les semences anciennes sont aujourd’hui menacées. En 100 ans, 75% des variétés comestibles ont disparu. Les ¾ de notre alimentation sont désormais issus de 12 espèces végétales et 5 espèces animales. C’est une menace pour la biodiversité, les cultures locales et pour l’indépendance des petits producteurs.

C’est dans ce contexte que l’association française « Kokopelli » a crée une antenne au Costa Rica, afin de produire leurs propres semences anciennes.

Notre enquête débute donc au Costa Rica et plus exactement à Atenas de Alajuela où Eric Sémeillon nous accueille chez lui – avec un grand sourire – pour nous présenter son jardin de semences anciennes. Sur une surface de 8 000m2, il cultive plus de 100 variétés.

Herbes aromatiques aux goûts anisé, citronné, aillé, poivré, sucré, maïs multicolores et légumes oubliés. Couleurs, senteurs, goûts, textures, bruits d’oiseaux… C’est un véritable jardin sensoriel où aucun sens n’est oublié. Au-delà des enjeux liés à ces semences, on comprend très vite pourquoi Eric, sa femme et sa fille ont choisi de s’installer ici. Parmi ces bijoux de la nature, il y aussi des plantes médicinales et ça tombe à pic car Kalima a mal au ventre depuis quelques jours. Il nous fait immédiatement une tisane « magique » avec de la citronnelle, de la sauge et d’autres herbes. On ne saura pas si c’est grâce à cette tisane ou non, mais le lendemain Kalima allait déjà beaucoup mieux !

Les semences que cultivent Eric, sont destinées aux petits producteurs afin qu’ils puissent redécouvrir les variétés anciennes, les multiplier librement pour s’en servir l’année suivante et les échanger avec d’autres producteurs.

Ici, en Amérique Latine, les semences anciennes occupent une place particulière dans la cosmogonie des populations autochtones, bien éloignée de notre vision occidentale. Ces peuples sont les acteurs principaux de la création et de la conservation de la biodiversité agricole de notre planète. Bon nombre de nos variétés de tomates, pommes de terre ou maïs ont vu le jour dans ces régions.

Nous sommes allés rencontrer des représentants de la communauté Misak dans le Cauca en Colombie. Avelino et Cayetana Almendra nous accueillent chez eux par une « belle journée pluvieuse » alors qu’ils sont en train de trier des pommes de terre pour leur consommation et pour les échanger avec d’autres personnes de leur communauté.

Dans ces paniers, il n’y a pas moins de 5 variétés de pommes de terre différentes dont quelques petites pommes de terre roses et jaunes que nous n’avons jamais vues en France.

Ils nous font part de leur vision de l’agriculture et des semences. Le travail agricole pour eux est avant tout collectif et prend place lors des Mingas (ateliers de travail communautaire). Ce travail collectif va favoriser la création ainsi que la préservation de nouvelles semences, qui vont pouvoir être testées et approuvées par la communauté sur leurs terres. Elles seront par la suite échangées avec d’autres communautés lors de rassemblements. Cette organisation a permis l’essor de milliers de variétés et continue de favoriser la création de nouvelles.

Après avoir terminé notre Interview, nous repartons avec quelques pommes de terre pour voir si elles sont aussi bonnes qu’elles en ont l’air. On les mangera sautées à la poêle avec un peu de beurre et de l’ail. Un délice…

Le sud de la Colombie annonce pour nous le début des Andes. Un nouveau défi physique de ce voyage et l’occasion de rencontrer d’autres communautés autochtones. Nos vélos font toujours sensation dès que nous traversons des petits villages andins.

Nous nous arrêtons quelques jours à Cuzco au Pérou pour rencontrer Elena Pardo, directrice de CEPROSI, une association de protection et valorisation des cultures andines.

Pour eux, la sauvegarde des semences traditionnelles occupe une place de premier ordre. Elles constituent l’héritage culturel des générations précédentes. Elena constate ces dernières années, une uniformisation des cultures locales, d’autant plus prégnante dans les habitudes alimentaires. Le quinoa par exemple, n’est presque plus consommé localement, quand l’essentiel de la production part à l’exportation.

Nous l’avons constaté lors de notre séjour. Hormis quelques restaurants haut de gamme pour touristes, on ne le retrouve plus à la carte de petits restaurants de rue. Il a laissé place au « traditionnel » poulet frite. Avec les exportations massives vers l’Europe et les Etats Unis, le quinoa – anciennement céréale du pauvre – est devenu hors de prix pour le marché local. Selon la FAO, la valeur des exportations de quinoa vers l’Occident a connu une hausse de 260% rien qu’entre 2012 et 2014.

Les semences sont la clef de voute du système agricole autochtone. Avec CEPROSI, Elena tente de renouer le lien entre les plus jeunes et l’alimentation traditionnelle. Elle a participé à la création de plusieurs potagers dans les écoles de la région, qui sont conçus par des représentants de la communauté Quechua ou Aymara (suivant la région). Ces potagers sont gérés et entretenus par les élèves qui pourront ensuite récolter le fruit de leur travail. Ces jardins possèdent un espace dédié aux rituels et offrandes pour la Pachamama (Terre Mère) et font la part belle aux semences locales comme la pomme de terre, le maïs, la tomate et bien sûr le quinoa.

La protection des semences anciennes est indissociable de la préservation de la biodiversité. Elles ne peuvent pas se réduire à un petit catalogue de semences, contrôlé par quelques groupes de l’agro-alimentaire qui en ont fait un commerce rentable. En Amérique du Sud, la tradition de cultiver ses propres semences et de les échanger pour diversifier ses cultures est encore très vivante mais menacée aujourd’hui. C’est une lutte quotidienne que mène des petits producteurs, des associations et des particuliers à travers le monde pour que les producteurs restent indépendants et que les consommateurs puissent trouver des couleurs et des saveurs dans leurs assiettes.

Nous repartons du Sud du Pérou pour découvrir la Bolivie et ses paysages lunaires. Au milieu de paysages déserts, nous nous retrouvons en quelques jours à voyager à … 7 cyclistes.

Une expérience unique en 14 mois de vélo. Pendant une semaine nous formons une équipe unie jusqu’à l’arrivée au Salar d’Uyuni. Sa traversée sera un moment marquant de notre voyage. Pendant 3 jours nous nous retrouvons hors du monde. Nos vélos se transforment en navires quand tous les repères s’estompent et qu’ils ne demeurent que les îles au loin en ligne de mire pour garder notre cap.

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2 Comments

Gauthier · 29 janvier 2020 at 11 h 36 min

Intéressant. Toujours aussi bien documenté !

Julia · 19 février 2020 at 15 h 42 min

Grâce à des gens comme vous, certains parmi nous gardent le cap et perpétuent l’héritage de notre humanité, dans la joie et la bonne humeur. Grand merci !

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